Publié par levisiteurnocturne
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Dans la banlieue chic de Ville-d'Avray, au 184 rue de Versailles, se dressait une façade noire aux vitres fumées qui cachait l'un des secrets les mieux gardés de la région parisienne. Derrière les initiales "RR" gravées sur la grille, l'Auberge du Roi René a écrit pendant près de 80 ans l'une des pages les plus mystérieuses et sulfureuses de l'histoire française contemporaine.
René Charrier était un ancien truand et proxénète reconverti dans l'exploitation de cet établissement, propriétaire d'une luxueuse villa non loin, à Vaucresson. Fils d'un tenancier de bordel à Châtenay-Malabry, René Charrier portait dans ses gènes l'art du commerce des plaisirs interdits.
En 1934, René Charrier décide d'ouvrir une auberge sur la route qui relie Versailles à Paris. Très vite, le lieu de passage se transforme en club aux mœurs assez légères. Comme le résumera plus tard Fabrice, l'un des derniers propriétaires : "En 1934, c'était déjà osé de voir les chevilles d'une femme. Mais au Roi René, on pouvait caresser les fesses de la serveuse."
L'ingéniosité de René Charrier se manifestait dans les moindres détails. Il fait fabriquer des tabourets dont le centre est évidé en forme de cœur et place des miroirs sous chaque exemplaire. Fin poète, il glissait sa main à travers le cœur pour titiller les parties intimes de ses clientes tout en disant que c'était le chemin le plus court pour atteindre le cœur d'une femme.
L'une des traditions les plus étonnantes du club était le rituel instauré par René Charrier. À la fin de chaque soirée, René allait cueillir une rose dans le jardin de l'auberge pour l'offrir à la femme la plus active de la soirée, c'est-à-dire celle qui avait accueilli le plus de partenaires. En échange, la gagnante découpait une touffe de ses poils pubiens et la remettait à René. Ce dernier les conservait consciencieusement dans un album prévu à la base pour la philatélie en plaçant les petites touffes dans les pochettes transparentes. En dessous de chaque trophée, il notait le prénom de la dame, la date de la soirée et son origine.
Ce livre, confisqué par la Brigade Mondaine lors d'une descente pour prostitution en 1984, est conservé à la Préfecture de Police de Paris dans une petite pièce appelée Musée de la Mondaine où tous les objets sexuels atypiques sont réunis.
De 1944 à 1949, c'est un restaurant. Mais dès les années 1950, l'établissement se transforme en quelque chose de bien plus exclusif. Le Roi René devient progressivement ce qui sera reconnu comme le plus ancien club échangiste de France.
Parmi la clientèle venue dans des "luxueuses berlines" ont figuré des stars des années 1970 et 1980 "venues s'encanailler". Auparavant, il y avait nombre de diplomates. La clientèle du Roi René à cette époque était exclusivement constituée de beau monde, incluant des clients du monde entier, des politiques, des capitaines d'industrie, des princes des émirats.
Les propriétaires du club ont raconté les fois où Mme Pompidou s'y faisait trousser. Le voisin du club depuis 50 ans, Nono, se souvient avoir aussi dû déplacer des motos d'escorte ministérielle pour pouvoir garer son camion dans son jardin.
L'une des révélations les plus troublantes concerne les liens du club avec les services secrets français. Alors qu'il est dirigé par les héritiers du fondateur, le club est contrôlé de fait par un ex-dirigeant du service 6 du SDECE, responsable des trafics d'armes, Jean-Pierre Lenoir, qui a quitté la fonction publique depuis 1967.
À une époque, les agents du SDECE "trouvaient au Roi René un lieu d'accueil propice au règlement de certaines affaires" concernant le Moyen-Orient.
Jean-Pierre Lenoir était bien plus qu'un simple ancien agent. Il était animé par Jean-Pierre Lenoir, "expert dans la traque des trafiquants d'armes et très actif en Espagne" qui avait dans les années 1950 été à la tête du service chargé d'éliminer des soutiens du FLN.
Selon des accusations rapportées par l'hebdomadaire Minute en 1980, Jean-Pierre Lenoir aurait été PDG d'une société dissimulant une autre, basée sur le "courtage d'armes à destination du Moyen-Orient" et propriétaire du club libertin "Le roi René".
Le Roi René servait manifestement de lieu de rencontres pour des affaires bien éloignées du simple libertinage. Une révélation récente dans l'affaire Robert Boulin illustre cette dimension. Début novembre 1979, quelques jours seulement après l'annonce par les médias de la découverte du corps de Robert Boulin, Elio Darmon affirme avoir assisté à un repas au Roi René, auquel participaient quatre autres personnes : le nommé Pierre Debizet, Jean-Pierre Lenoir (agent du SDECE) et deux inconnus.
L'histoire du club n'est pas sans zones d'ombre. En 1967, une enquête de la sureté de Versailles est ouverte pour des faits de proxénétisme puis, le 9 mars 1968, à la suite d'un arrêté préfectoral, le club est même fermé pour trois mois, après la mort d'un salarié travesti retrouvé inanimé derrière le bar, tué à coups de talons aiguilles.
À cette même époque, un barman du club se serait fait tuer par une cliente à coups de talon aiguille et un client aurait été tué par balles en sortant du club.
À l'intérieur du club, les enquêteurs ont découvert que les murs étaient truffés de caméras, d'appareils photos et de micros. Cette surveillance sophistiquée renforce l'hypothèse d'un club servant à bien d'autres fins que le simple divertissement.
René Charrier a été assassiné en septembre 1973 et ses enfants ont repris l'établissement après deux ans de fermeture. Les circonstances de sa mort restent mystérieuses : René Charrier a été tué par balles par quatre inconnus, qui l'ont dépouillé des 20 000 francs la recette de la soirée et qui n'étaient toujours pas retrouvés ni même identifiés un mois après.
Selon la légende, René aurait été assassiné par des membres de la mafia. Cette hypothèse prend tout son sens quand on considère les liens du club avec les trafics d'armes et les services secrets.
Suivi trois mois après par la disparition de son épouse Gilberte, l'assassinat de René Charrier semble s'inscrire dans un règlement de comptes plus large.
Gérard et Marie-Noëlle, héritiers de René Charrier, ont pris sa succession en 1975, après deux ans de fermeture causés par son assassinat en septembre 1973.
Après deux ans de fermeture, le fils de René, Gérard, reprend l'affaire. Il ressuscite les soirées fastueuses du temps de son père et le Roi René conserve son rang d'institution. Gérard, digne héritier de son géniteur, tient les lieux d'une main de maître et fidélise sa clientèle, notamment en demandant à chaque fois à ses clients : "Madame a bien joui ?"
Les deux héritiers sont actionnaires majoritaires, à côté de nouveaux actionnaires de ce qui est rebaptisé en 1978 le "Club 2000". Parmi ces nouveaux actionnaires, le dirigeant d'une société qui commercialise des "engins de guerre", qui en a proposé la direction à un haut gradé de l'armée à la retraite, mais celui-ci démissionne en découvrant être tombé dans un piège.
La violence n'a pas quitté l'établissement avec la mort de René Charrier. L'établissement est victime d'une nouvelle attaque en juillet 1982, quand une bombe atterrit sur la façade, ne faisant aucun blessé, dans ce que les enquêteurs considèrent comme pouvant avoir été une tentative de racket.
Il est aussi l'objet de soupçons de proxénétisme en 1984, lors d'une enquête plus générale dirigée par Martine Monteil, responsable de la brigade de répression des stupéfiants et du proxénétisme, qui vise aussi un lieu similaire dans Paris, le "Cléopâtre" : un jeudi d'octobre, la police investit le lieu, sur commission rogatoire d'un juge d'instruction de Nanterre et y trouve trois prostituées. Ils écrouent les propriétaires, héritiers du fondateur, pour proxénétisme aggravé.
Malgré ces épisodes tragiques, le Roi René connaît son apogée dans les années 1970-1980. Pour les libertins, le Roi René c'est l'équivalent du Stade de France pour les fans de foot.
La devise du club reflétait sa philosophie : "Tout est possible mais rien n'est obligatoire". Une soirée est une réussite quand les clients ont bien mangé, bien dansé, bien baisé.
Le club maintenait un niveau d'exigence élevé. Le prix était élevé et la sélection rigoureuse. Mais on les traitait comme les autres, ils ne payaient pas plus, expliquait Natacha à propos des personnalités qui fréquentaient l'établissement.
Au milieu des années 2000, après un contrôle fiscal qui a mal tourné, Gérard met l'une ses maîtresses, que Fabrice et Natacha surnomment "Madame Pipi", à la gérance de l'établissement et le club commence à couler.
Un couple de quadras a repris et relooké le club en 2011, "afin de rajeunir la clientèle et de maintenir le côté sélect".
"Quand on est rentrés pour la première fois, rien n'avait changé depuis 1973, il n'y avait même pas de douche. C'était clairement immonde", explique Natacha. "Même la moquette n'avait pas été changée, avec toutes les femmes fontaines passées par là vous imaginez bien l'état dans lequel elle était…"
Le couple reprend le club en 2011 et le rénove entièrement. Une pièce esprit NewYork sado maso, une black room, une pièce à l'ambiance sauvage… Bref, les cheminées en cuivre et les banquettes en skaï de l'époque de René sont bien loin.
"Nous avons privilégié plusieurs thèmes, explique Natacha. Le baroque pour le bar, une ambiance africaine dans une salle, new-yorkaise dans une autre avec des éléments sadomasochistes…"
Fabrice et Natacha ont avant tout choisi de reprendre le club car le nom Roi René est encore aujourd'hui synonyme de qualité dans le milieu libertin. Après avoir fait le tri dans la clientèle très fidèle mais très âgée de l'époque des Charrier, Fabrice et Natacha ont tenté d'insuffler un vent de jeunesse dans l'institution de 600m2 tout en conservant un haut niveau d'exigence en ce qui concerne les clients.
Comme le souligne Fabrice, "aujourd'hui, quand vous allez dans une soirée trio, vous avez autour de vous 15 lascars avec la quéquette à la main. Ce n'est vraiment pas ce genre de choses que l'on voulait." Le club ouvrait donc du mercredi au samedi avec un ticket d'entrée pour les "solos" à 300 € et seulement le jeudi.
Les affaires roulaient très bien pour eux mais en 2012, ils ont découvert que Gérard Charrier avait soi-disant vendu le lieu à quelqu'un et que Fabrice et Natacha devaient à ce dernier 150 000 euros. Le club a depuis fermé sa porte.
Lorsqu'il ferme ses portes en 2012, en laissant "cinq salariés sur le carreau", il s'agit selon Le Parisien du plus ancien club échangiste de France, confronté à "un souci de bail locatif avec le propriétaire", avec qui ils sont "en procès".
Même à la fin, le club portait encore les stigmates de son histoire violente. L'un des barmans du Roi René en plein service derrière le bar qui porte encore les impacts de balles qui ont tué son propriétaire.
L'intérieur de l'établissement a inspiré des metteurs en scène de cinéma, Claude Berri pour Sex-shop et François Jouffa pour La Bonzesse.
Avant l'envahissement de la commune par les agences immobilières et les coiffeurs, Ville-d'Avray a été le témoin de l'histoire du libertinage français, de ses mœurs et de son évolution.
Cependant, l'ancien couple ne désespère pas d'ouvrir un nouveau Roi René à l'étranger. Cette perspective témoigne de la valeur de la marque "Roi René" dans l'imaginaire libertin.
Mais pour ceux qui souhaiteraient reprendre le club de Ville-d'Avray, Fabrice précise qu'il ne faut pas trop se faire d'illusions : "Quand on est libertin et qu'on veut baiser tout ce qui passe, il ne faut surtout pas ouvrir un club."
Le club échangiste et libertin de qualité dont la devise était "Tout est possible mais rien n'est obligatoire" a donc été laissé à l'abandon. Aujourd'hui, les riverains redoutent l'érection en ces lieux d'un ensemble immobilier aussi laid que toutes les barres qui, au fil des ans, ont défiguré les abords des Étangs et de la forêt de Fausses-Reposes.
L'histoire de René Charrier et du Roi René illustre un pan méconnu de l'histoire française des années 1950-2010. Entre glamour et violence, secrets d'État et libertinage, trafics d'armes et services secrets, ce club a cristallisé les contradictions d'une époque où se mêlaient pouvoir, plaisir et mystère dans la banlieue chic parisienne.
Le nom Roi René est encore aujourd'hui synonyme de qualité dans le milieu libertin, témoignage d'un temps révolu où l'exclusivité et le mystère régnaient en maîtres sur les plaisirs interdits de l'élite française. Le Roi René n'était pas seulement un club libertin, c'était un microcosme de la France secrète, où se négociaient dans l'ombre les affaires les plus sensibles de la République.